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Une campagne Twitter pro-Brexit dopée par des activités suspectes liées à l’étranger

Guillaume Ortega

12.03.19 7 min de lecture

Les efforts de Twitter pour contenir les fake news et autres campagnes de désinformation se poursuivent en 2019, mais des activités suspectes restent évidentes, selon une nouvelle étude menée par F-Secure au sujet du Brexit.

Une activité inhabituelle a été observée sur Twitter, à la fois contre et en faveur du Brexit. Toutefois, l’activité suspecte pro-Brexit semble nettement plus importante.

« Compte-tenu de l’ampleur du phénomène, les chercheurs concluent que la communauté Twitter en faveur du Brexit reçoit le soutien de comptes d’extrême droite, basés en-dehors du Royaume-Uni », conclut le rapport.

Pourquoi Twitter a-t-il de l’importance alors que les négociations sur le Brexit sont sur le point de s’achever ?

Bien que Twitter ne soit que le 12e réseau social le plus populaire au monde, il demeure une plateforme-clé pour quiconque cherche à influencer le discours politique.

Les journalistes misent tellement sur Twitter pour recueillir des pistes et promouvoir leur travail que les milieux universitaires ont commencé à étudier l’influence de Twitter sur l’actualité. La plupart des dirigeants du monde utilisent la plateforme, y compris l’actuel président des États-Unis, qui la considère comme sa méthode de communication directe préférentielle. Il s’agit également du deuxième réseau social source de médias après Youtube (Google).

Twitter et d’autres réseaux sociaux sont en lien direct avec le 10 Downing Street, l’adresse où vit et travaille Theresa May, l’actuelle première ministre du Royaume-Uni à la tête des négociations du Brexit, depuis le vote de 2016. Une « unité d’intervention rapide » a été créée par son gouvernement « pour surveiller et éteindre les éventuels incendies naissant sur les réseaux sociaux, car ces derniers se situent souvent en dehors du radar de nombreux politiciens et journalistes londoniens », indique Politico.

Twitter est la plateforme idéale pour observer la propagation des fausses informations

Une activité Twitter suspecte est conçue pour imiter une utilisation légitime du site afin d’éviter tout soupçon. Souvent, cela s’avère efficace.

« Les individus à l’origine des campagnes d’ingénierie sociale sophistiquées, ou campagnes d’astroturfing (interactions fabriquées de toutes pièces, conçues pour faire croire à l’observateur qu’il s’agit de tweets ordinaires), créent et utilisent parfois des personnages convaincants pour propager des contenus destinés à influencer le débat », indique le rapport. « Il est extrêmement difficile de distinguer ces personnages inventés d’individus véritables ».

Les auteurs de campagnes d’ingénierie sociale peuvent aisément « acheter » des followers ou manipuler des algorithmes du site pour parvenir à leurs fins. Les plus doués recourent à l’automatisation et produisent ainsi des tweets beaucoup plus rapidement qu’ils ne peuvent être analysés.

Le rapport affirme que Twitter constitue « la plateforme idéale pour la recherche sur les attaques visant les réseaux sociaux », compte-tenu de « sa nature publique et de sa prise en charge intégrale des API ».

Se focaliser sur les publications Twitter liées au Brexit

Les chercheurs du Centre d’excellence en intelligence artificielle (Artificial Intelligence Center of Excellence) de F-Secure ont suivi les utilisations détournées Twitter depuis deux ans, en particulier dans les contextes d’élections.

Alors que le Brexit a été voté il y a longtemps déjà, les analystes ont choisi de se focaliser sur les tweets qui y sont consacrés afin de débusquer « les activités suspectes, campagnes de désinformation, campagnes d’amplification des sentiments et autres tentatives « d’ingérence ». »

En utilisant l’API standard de Twitter et le langage de programmation python, ils ont analysé les tweets publiés entre le 4 décembre 2018 et le 27 janvier 2019. L’objectif était de déterminer la fréquence à laquelle les utilisateurs tweetaient ou retweetaient des messages relatifs au Brexit. Il s’agissait également de mesurer l’influence des tweets individuels, mesurée en retweets. Enfin, ils surveillaient le nombre de mots, les hachtags et les URL utilisés.

L’outil de visualisation Gephi a permis de cartographier les interactions entre utilisateurs :

Voici à quoi ressemblait le premier jour d’activité (les noms d’utilisateur des comptes en gros caractères étaient les plus actifs) :

Qu’a donc à voir le hashatg #franceprotest avec le Brexit ?

Le 11 décembre, les chercheurs ont découvert que le hashtag #franceprotests connaissait une véritable explosion au sein des tweets sur le Brexit.

Ils ont alors cartographié les interactions découlant principalement d’un seul tweet et ont obtenu ceci :

En observant les comptes concernés, ils ont constaté qu’un certain nombre d’entre eux partageaient activement des tweets liés au mouvement des gilets jaunes (#yellowvest, #yellowjackets, #giletsjaunes) et aux idées défendues par la droite américaine (#MAGA, #qanon, #wwg1wga).

Ce soutien suggéré pour le hashtag provenait de l’extérieur de la France et des deux côtés de l’Atlantique.

En outre, les chercheurs ont identifié des comptes rendus suspects sur les manifestations en France et le Brexit qui semblaient être de nature apolitique. Seul Twitter a l’accès pour déterminer définitivement si ces comptes ont été cooptés pour cet effort d’amplification.

Amplification pro-Brexit

Le 20 décembre, les chercheurs ont remarqué que quelques comptes qui – jusque-là –  n’avaient pas fait l’objet de retweets pro-Brexit importants, faisaient soudain une entrée fulgurante dans le top 50 des comptes les plus influents, en termes de retweets et de likes.

Seuls quelques comptes officiellement pro-Brexit tels que brexiteer30, jackbmontgomery, unitynewsnet et stop_the_eu semblaient liés à cette soudaine flambée des tweets anti-UE, qui concernaient pourtant environ 5 800 comptes.

Parmi les comptes concernés, se trouvaient également des comptes influents de l’aile droite américaine, comme Education4Libs et AmyMek, qui comptent des centaines de milliers de followers.

Le 20 décembre, le premier membre du cabinet de Theresa May, Amber Rudd, secrétaire d’État au Travail et aux Retraites, a suggéré qu’un second vote puisse avoir lieu, mais les chercheurs n’ont trouvé aucune donnée permettant d’associer l’amplification observée à cet événement.

Comment débusquer les tweets suspects

Les conditions d’’utilisation de Twitter interdit « l’utilisation abusive de nos services ». Mais ce mésusage peut être assez difficile à détecter et il ne se présente pas toujours d’une manière aussi évidente que le botnet Twitter, composé de 22 000 comptes, détecté l’an dernier.

Cela étant, les chercheurs ont été surpris par le nombre de phénomènes identifiables à partir de tous ces tweets, lorsqu’ils sont analysés correctement.

« Il y a des données cachées à l’intérieur des données – et il y a de nombreux angles sous lesquels elles sont observables. Différents phénomènes peuvent alors être mis en évidence », rapporte un article récent sur l’importance de cette étude. « Les données issues des réseaux sociaux sont comme des organismes vivants ; elles évoluent à chaque instant. »

Les analyses graphiques offrent quant à elles une représentation du flux constant et massif des tweets. Elles permettent de visualiser les utilisations détournées comme « les escroqueries, l’ingénierie sociale, la désinformation, l’amplification des sentiments et les campagnes d’astroturfing ».

En quoi ces tweets pro-Brexit sont-ils si suspects ?

Bien que des tweets suspects émanant des deux camps aient été détectés, ceux en faveur du Brexit ont été plus nombreux et ont sans doute eu un effet plus significatif.

Le rapport d’analyse F-Secure fournit quelques exemples à ce sujet :

  • Les deux comptes pro-Brexit les plus influents ont reçu un nombre disproportionné de retweets, comparativement aux modèles observés au sein du groupe pro-UE.
  • Le groupe pro-Brexit a bénéficié de l’appui d’une poignée de sources d’information non officielles.
  • De nombreux comptes non-britanniques ont participé à des conversations en faveur du Brexit et ont retweeté des messages.

Et ensuite ?

« Il est très difficile de déterminer si un compte Twitter est un robot ou même s’il fait partie d’une campagne coordonnée d’astroturfing, avec de simples requêtes à partir de l’API standard », conclut le rapport dans la section Réflexions finales.

L’ensemble de données comprend « environ 24 millions de tweets publiés par plus de 1,65 million d’utilisateurs » – une quantité de données qu’il est impossible de bien analyser pour une petite équipe, quelle que soit sa détermination.

Twitter occupe une place centrale dans les débats et dans les élections, dont l’issue se joue souvent à quelques points de pourcentage. La plateforme semble ainsi avoir le choix : elle peut consacrer ses moyens à la réduction des tweets suspects, ou bien attendre que les gouvernements exigeant ces changements s’effondrent, avant que ces mesures ne voient le jour.

 

 

Guillaume Ortega

12.03.19 7 min de lecture

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